La Tendresse

« On peut vivre sans richesse, presque sans le sou, des seigneurs et des princesses y’en a
plus beaucoup mais vivre sans tendresse on ne le pourrait pas, non, non, non, non, on ne
le pourrait pas… »
, nous chante Bourvil.


La tendresse est un sentiment tendre d’amitié, d’affection, d’amour qui se manifeste par des
paroles, des gestes doux, des attentions délicates. Très utilisée et entendue dans de
nombreuses chansons, elle n’est étonnamment pas le sujet de beaucoup de recherches et
d’écrits. Ne serait-elle qu’un sentiment mièvre, un sous-produit de l’amour, moins noble que
celui-ci, attribué à la fin de la vie lorsque l’amour laisserait place à une affection sans
connotation sexuelle ?


La tendresse n’est ni possession, ni tentative de séduction. Si j’ai un geste vers quelqu’un je
dois être transparent sur mon intention : offrande, partage et non pas geste de possession. Pas
une tentative de prendre le pouvoir sur l’autre, soit en le séduisant,
soit en le mettant en
dépendance. Séduire signifie « conduire à soi ». Être tendre n’est pas conduire à soi
l’autre, mais « se conduire à lui ».
Nous savons peu écouter nos propres gestes, ce qu’ils
disent au-delà de nos besoins, de nos désirs, ce qu’ils disent comme modalité relationnelle. Je
peux m’interroger : « quelle est la qualité du geste que j’offre ? » Est-ce un geste qui va
ouvrir, agrandir, donner, offrir quelque chose à l’autre, ou est-ce un geste qui va le capter, le
retenir, le coincer ?


La tendresse, forme de sensibilité et de bienveillance, sans contrainte, que la passion ou le
désir pourrait susciter, s’exprime dans les gestes, le toucher, la douceur, la délicatesse,
l’attention portée aux besoins d’autrui, le regard, la voix. Elle crée une relation d’affection, qui
peut aller de la relation d’amitié à la relation amoureuse. Elle n’implique pas nécessairement
de désir sensuel, attendu qu’elle peut être l’élément clé d’une relation familiale. La tendresse,
c’est un geste, un mot, un sourire, comme le dit Daniel Guichard.


« Le bonheur ce n’est pas de rendre heureux l’autre, c’est de se rendre heureux soi-
même et d’offrir ce bonheur à l’autre »
, comme nous le dit Jacques Salomé. Cela pourrait
être une définition de la tendresse ».


La tendresse est un chemin, souvent difficile, connu ou inconnu. Pour le suivre, il faut
accepter de dépasser des peurs et des préjugés. Dans notre culture, la tendresse paraît
redoutable, associée à une possible érotisation des relations et à une crainte de la dépendance.
On craint de tomber sous l’emprise de quelqu’un en acceptant de se laisser aller à « recevoir »
de lui.


La tendresse surgit après la peur, les préjugés. C’est la sève de la relation, qui fait que deux
êtres vivants s’approchent, se rencontrent et qu’ils peuvent se découvrir et se reconnaître sans se menacer. La notion de tendresse contient l’avant-goût d’une croissance mutuelle possible.
C’est par la tendresse de l’autre que je peux grandir – être – me développer en sécurité.

Par la tendresse s’opère aussi une re-connaissance mutuelle : naître à nouveau avec l’autre et
non pas vouloir en savoir plus sur l’autre comme souvent le mot connaître est compris. La
tendresse parcourt un chemin bordé de sensations et de sentiments où se trouvent mêlés
bienveillance, acceptation, abandon et aussi confiance, étonnement, découverte. Souvent, la
tendresse est reliée au contact physique, dans le geste reçu et donné, mais elle n’est pas
seulement physique. Elle est sensation, émotion imprévisible, regard étonné, mouvement
secret et fugace, reliés à l’ensemble des sens. Elle participe incontestablement de tous les
langages multiples et complémentaires du corps. Le contact de peau n’est qu’un des passages
possibles. Le regard, l’accueil des yeux est aussi quelque chose de bouleversant.


La tendresse c’est une parole ou un silence qui devient offrande.


Dans la sophrologie, le rôle de la respiration, du regard, de la voix sont contenants. La
tendresse c’est alors la musique des mots, la chaleur et les tonalités de notre voix.
La
musique de la voix, ses sonorités, accompagnent les gestes de la tendresse et en colorent
l’intention. L’émotion filtrée dans les couleurs de la voix est plus importante que les mots car
le corps résonne aux vibrations sonores et amplifie sa perception, sa sensibilité à la tendresse
donnée, proposée.


La tendresse implique un partage qui va bien au-delà des mots, et fait feu de tout bois pour se
dire et s’entendre. C’est la rencontre de tous ces langages au-delà de la parole, qui par leur
manifestation, vont créer un climat particulier dans une relation. Si vous observez des couples dans un restaurant, vous remarquerez les tables où circule de la tendresse, et pas seulement de la tendresse verbale, de celle qui a besoin de se dire pour « s’imposer ».


Nous pouvons avoir une attitude tendre pour quelqu’un vers qui nous sommes attirés, et c’est
le devenir de cette attitude dans une relation, au-delà de la rencontre, qui donnera vie à la
tendresse ou à plus. Il ne suffit pas d’avoir un élan, une attirance, il faut aussi qu’une
réciprocité puisse se vivre. La rencontre ne se fait que s’il y a accueil, une sorte
d’amplification. Ainsi, dans une relation amoureuse où circule beaucoup de tendresse, c’est la
peau qui caresse la main et pas nécessairement la main qui caresse la peau.
La tendresse
c’est une qualité de douceur et de confiance qui circule entre deux personnes qui se reçoivent
mutuellement. C’est un entier qui accueille un entier. Evidemment chacun a un territoire, une
intimité, des préoccupations et une disponibilité, variables. Cela c’est l’Autre.


La tendresse est quelque chose d’indispensable à la vie de l’être humain et surtout à la qualité
de la vie de chacun. Beaucoup de maladies (maladie en tant que langage symbolique) sont
provoquées par des manques ou des distorsions, des malentendus liés à l’amour reçu et donné
et à la tendresse absente, censurée ou dévoyée. Et aujourd’hui beaucoup de personnes âgées
crèvent par manque de contacts, on ne les touche plus, on ne les câline plus, c’est le désert des
corps. Si la tendresse avait réellement droit de cité au niveau où elle devrait l’avoir, il y aurait
beaucoup moins de maladies, moins de malaises, plus de bonheur.


La tendresse n’existe pas sans amour. L’éventail de l’amour est très large : de l’intérêt
affectueux pour une personne jusqu’à la passion. La tendresse y trouve son champ et son
espace. Amour et tendresse sont liés, dans un même mouvement de l’être à la réalisation de
Soi. La tendresse ne comble jamais un vide, elle rejoint le germe d’un plein et s’agrandit ainsi
pour donner le climat d’une rencontre.

La tendresse est un besoin vital que nous n’osons cependant pas revendiquer. Qui va oser
demander « prends-moi dans tes bras », « donne-moi de la chaleur », « laisse-moi
m’abandonner », « regarde-moi », « offre-moi plus souvent des sourires » ?
Ces demandes-là sont mal vues. Elles paraissent souvent excessives, trompeuses, porteuses de
risques. Dans le domaine amoureux et sexuel le besoin de tendresse fait souvent l’objet d’un
malentendu. Combien de femmes « paient la tendresse » dont elles ont besoin en s’obligeant
sexuellement ! Comme si elles étaient obligées de payer en obligations sexuelles pour avoir la
proximité, la chaleur, l’intérêt ou l’attention de quelqu’un. Et d’un autre côté combien
d’hommes ne savent pas, n’ont pas appris les gestes, les mouvements, les intentions de la
tendresse. Une partie de la mythologie masculine associe tendresse et faiblesse.


La tendresse, en pratique, ça s’apprend ou se désapprend très tôt. Elle s’apprend tout d’abord
avec les parents, dans la rencontre des corps, des gestes et des regards. Avec la fratrie, dans
les jeux. Ce seront les parents qui, par des attitudes de permissivité et aussi d’interdits «
baliseront » le corps. En permettant des repères ils autoriseront d’une certaine façon le corps
de l’enfant à s’agrandir.


L’apprentissage de la tendresse c’est l’apprivoisement du corps, offrande et réceptacle. Le
corps réel, celui que l’on voit, que l’on sent ou que l’on touche. C’est aussi la rencontre avec
le corps imaginaire, le corps « immense » fantasmé par l’enfant. Mais combien d’hommes
sont défendus, inhibés, interdits dans le domaine du toucher et de l’abandon ! Parce que là
aussi réside le risque de l’érotisation et de la séduction. La peur que son propre désir surgisse
inopinément. Que faut-il faire de ce risque ?


Tout d’abord en parler. Je crois que si nous pouvions apprendre aux pères et aux mères à
parler de cela, ils découvriraient que ce risque est souvent fantasmé.


La tendresse peut s’apprendre encore partout dans la rue, à l’école, en famille. Mais c’est très
mal vu. Combien de parents quand ils voient leurs enfants s’explorer ou explorer leurs corps
pensent à des dangers ! On disait autrefois : « jeux de mains, jeux de vilains ». Et je crois que
c’est toujours vrai, dans l’imaginaire de chacun, ce risque d’aller trop loin, d’être trop
vulnérable, de déboucher sur l’imprévisible, sur l’incontrôlable : « que va-t-il arriver si je me
laisse trop aller ? »


Que peut-on faire pour qu’il y ait plus de tendresse dans ce monde ? Tout d’abord tenter de la
vivre dans nos relations proches, plus ouvertement et plus fréquemment. Cela passe par une
reconnaissance et une acceptation de soi. S’aimer et se respecter déjà soi-même, c’est
simplement accepter de découvrir le territoire de son corps et de ses ressources. Cette notion
est entachée de moralisme : s’occuper de soi c’est risquer d’être vu comme égoïste. Mais
comment puis-je prétendre aimer autrui, ma famille, mes amis si je n’accorde pas d’amour à
qui je suis ? S’aimer soi-même peut être difficile et laborieux dans un premier temps.

Il est possible d’être tendre avec soi-même. Commençons par nous regarder dans la glace le
matin et acceptons de jeter sur nous un regard bienveillant ! Quelle tête faisons-nous à nous-
même quand nous nous levons, nous rasons ou nous maquillons ? Nous serions surpris de voir le regard que nous portons sur nous. C’est souvent un regard de désintérêt, de mépris, de
malveillance. La tendresse commence là, avec soi-même dans le premier regard que l’on porte sur soi et dans les gestes à notre corps, la façon dont on se lave, dont on caresse sa peau, dont
on s’habille. Je dois m’aimer moi-même si je veux pouvoir aimer l’autre.


Toutes ces réticences, ces méconnaissances, sont liées au fait que le plaisir est très censuré.
Nous n’osons pas dire notre plaisir à l’autre, surtout quand il est pris en dehors de lui, comme
si nous lui enlevions quelque chose. Quand les parents vivent mal le plaisir d’un enfant, ils
tentent tout de suite de le canaliser. Leur inquiétude est « sur quoi cela pourrait-il déborder ?
», « jusqu’où cela peut-il aller… ? » Il est essentiel de suivre ce vaste chemin de la tendresse,
malgré des incidents en cours de route, des échecs. Dans beaucoup de situations relationnelles
il est possible de manifester de la tendresse, dans un regard, dans un mouvement de bouche,
dans un silence. La tendresse, ce sont des yeux qui se découvrent regard. Parfois, ce sera
simplement de se sentir entendu et compris par quelqu’un.


L’écoute et la tolérance font partie de ce chemin. Chacun le poursuit comme il le peut, à son
rythme. Il peut l’élargir ou le prolonger. La liberté de chacun sera dans le choix qu’il fera de
rester sur le chemin et de continuer à l’inventer ou de le quitter.


La tendresse peut désamorcer certains conflits, ou les éviter, tous ces pseudo-conflits où les
positions sont déterminées, entretenues, combattues pour des enjeux qui échappent aux
intéressés eux-mêmes. Le conflit fait partie de la vie. Nous vivons des périodes de crises et de
paliers, d’affirmations et d’interrogations, ainsi dans les couples où chacun va se définir et se
différencier. Un des pièges serait d’utiliser la tendresse comme une monnaie d’échange, ou de
désamorçage. Tendresse et conflits ne sont pas incompatibles : je peux oser m’affronter à
quelqu’un que j’aime.


La tendresse, c’est une vague qui caresse l’eau, c’est un frémissement de paupière au réveil,
c’est mon doigt sur mes lèvres pour dire en murmurant – écoute, c’est peut-être une oie
Bernache ou peut-être pas…


Alors, je laisse mes cheveux s’envoler et venir balayer ton visage, transportant nos parfums de
la nuit, c’est ma voix qui se voile à la douceur de tes yeux, c’est mon cou qui se tend à
l’approche de ta main.


C’est ma vie qui résonne au bruit de tes pas… C’est tout ça et bien plus, mais je n’aurai pas
assez de ma vie pour en savourer toutes les subtilités, c’est tout ça la tendresse…

Par Isabelle FONTAINE

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