La Maltraitance des Cinq Sens

Intervention au congrès de Sophrologie de Rennes le 17 & 18 Novembre 2007

Séance de Sophrologie liée aux 5 SENS

Dans cette article je vous parlerai successivement :
1. Des cinq sens
2. De ma pratique en cabinet libéral
3. De mon inspiration à partir des idées de W. Reich

 

1- Qu’est-ce au juste que la maltraitance des cinq sens ?

 

Regardez autour de vous ! Qui respire bien, qui mange sainement en conscience, qui n’a pas eu de problèmes de sommeil ?

Le déprimé est victime de la répression du sentir. La répression de son corps lui est impossible, il bloque les muscles de son dos, de son thorax, de son ventre ou de ses cuisses, dans une rigidité qui va gêner sa respiration et sa circulation. Mais il n’en est pas conscient, il est alors dans une quête de l’illusion, la fuite d’un « ici et maintenant » devenu désagréable, une fuite en avant.

La seule façon que l’Homme a de découvrir le monde qui l’entoure est d’utiliser le plus finement possible ses cinq sens. C’est avec eux qu’il est possible de ressentir (c’est-à-dire de sentir une deuxième fois de l’intérieur). Et c’est, de mon point de vue, cette prise de conscience pour le futur qui est véritablement notre « bouée de survie ».

J’utilise sciemment des mots forts comme « maltraitance des cinq sens » car c’est véritablement de maltraitance sournoise dont il s’agit. Je suis confrontée quotidiennement dans mon cabinet aux conséquences de cette maltraitance, et je me pose la question « Ne sommes-nous pas en tant que Sophrologues des rééducateurs des sens ? ». J’entends déjà les clameurs des puristes ! Je me demande, non sans un certain trouble, si je ne suis pas en tant que Sophrologue, complice ou garante d’une certaine tranquillité sociale, où je ferais passer le message « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ».

Si je me contentais de faire passer ce message, je ne serais effectivement qu’un rééducateur des sens. Or être sophrologue, c’est accepter que son client n’aille pas mieux tout de suite, pour laisser surgir la souffrance de l’Être, et en prendre soin dans une démarche plus large de Sophrothérapeute intégratif, car toutes les différentes psychothérapies n’ont qu’un même et unique objectif : la « Liberté Emotionnelle ».

La pathologie serait en quelque sorte un court circuit de l’organisme, une patience « sacrée » : il s’agirait d’une passivité extrêmement active, qui exige une vue panoramique des circonstances. La pression sociale dans les pathologies sociales.

Dans ces pathologies, le corps freine son vouloir vivre, un sentiment de culpabilité apparaît : « celui d’être encore là».

Cette maltraitance des sens se manifeste par des pathologies liées au stress, angoisses, phobies sociales, difficultés de communication ; et à l’origine de toutes ces pathologies, on retrouve des troubles du sommeil. Le stress, cette pathologie sociale qui s’étend dans tous les milieux, sociaux, professionnels, familiaux, serait-il une non adaptation de l’individu à la société, ou une trop forte adaptation à cette même société ? ...
 

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Il est dramatique pour la personne de n’avoir plus que cette façon-là -la pathologie- pour exprimer au travers d’un symptôme, son individualité, son « dasein », comme pourrait me le souffler Alain Donnars à l’oreille ? Je suis alors, dans mon écoute, totalement dans une démarche phénoménologique où « le temps est suspendu », de même que tout jugement. Le symptôme est alors l’ultime tentative de résolution du conflit internalisé entre le soi et le monde : la mise à l’extérieur des couleurs de l’âme, des émotions refoulées ; autrement dit « une œuvre d’art ».

En effet, les émotions interdites d’expression se trouvent emprisonnées dans la « cuirasse musculaire », ce qui m’amène tout naturellement à évoquer les idées de Wilhelm Reich, dont je m’inspire dans ma pratique.

Nous disposons tous, peu ou prou, du même équipement sensoriel, et s’il y a des différences perceptives, elles sont avant tout d’ordre social et culturel. C’est la culture qui désigne, parmi tous les stimuli, ceux qui méritent d’être perçus et, parmi ceux-ci, ceux qui sont « bons » ou « mauvais ». Dans aucune société, la perception n’est envisagée sous le seul angle strictement sensoriel ; s’y mêlent invariablement le symbolique et le métaphorique.

Les sens ne sont plus utilisés dans leur rôle premier, les yeux regardent sans voir, les oreilles entendent sans écouter ; la pollution est telle que le nez ne sent plus, il respire le minimum vital ; le goût, qui fonctionne avec l’odorat, est atrophié, il faut des aliments de plus en plus parfumés artificiellement pour attirer le consommateur ; le contact de peau à peau se fait rare, malgré la liberté sexuelle qui s’affiche dans les médias.

Les publicitaires ont bien compris qu’il y avait une maltraitance des sens, aussi saisissent-t-ils l’occasion pour les séduire. Les mots comme peau, agression de la peau, sensualité, parfum qui enivre, à fleur de peau… sont utilisés. Il existe une intrication entre la peau et le psychisme. Les sensations sur la peau renvoient à des affects particuliers, d’où les expressions de la langue française : « être bien dans sa peau, être à fleur de peau, faire peau neuve ».

Je vais considérer ici séparément chacun des sens, en montrant la maltraitance particulière de chacun d’eux.

LA VUE : Regarder, voir, observer : nous ne regardons pas de la même façon suivant le lieu où nous nous trouvons. Par exemple, lorsque vous êtes à proximité d’un inconnu, il est de bon ton de ne pas le regarder ; le regard de l’autre peut-être intrusif, agressif.

Dans les banlieues, à la sortie des établissements scolaires, n’entend t-on pas, je l’ai frappé parce qu’il m’a mal regardé ?

Dans le métro, personne ne croise le regard de personne, d’ailleurs iPod, MP3, téléphone portable ne sont là que pour détourner le regard. On voit sans voir, nous avons les yeux ouverts, mais il y a comme un filtre entre soi et les autres. Il existe une sorte de répression du regard.

Imaginez que vous puissiez regarder comme un enfant, sans notion de pudeur ! Même le sourire est souvent vécu comme une agression, lorsqu’il n’est pas assimilé à des signes de folie.

« Aucun regard ne se porte nu et comme intact sur le monde. Aucun des gestes innombrables de la sensation n’est libre de lui-même, du poids de l’histoire, du poids de la culture ».

L’ODORAT : Sentir est un verbe ambigu car il veut aussi bien dire sentir avec le nez, que sentir avec la peau, ou avec ses émotions. Lorsque l’on sent avec son nez, on « renifle » plus que l’on ne respire.

Or renifler cela ne se fait pas, c’est incorrect, du moins dans notre société où la culture occidentale est traditionnellement considérée comme « odorophobe », à la différence des sociétés « odorophiles » où l’on se renifle réciproquement le visage pour se saluer. Amorcée au XVIe siècle, la lutte contre les mauvaises odeurs accusées de propager les maladies, amène les autorités à purger les villes de leurs sources nauséabondes (tanneurs, équarrisseurs …) ; le mouvement hygiéniste du XIXe siècle procède à un grand nettoyage des rues et des corps. Les trop forts effluves corporels, longtemps signes de richesse et de santé, sont difficilement tolérés.

L’odeur de l’autre, qui s’exprime dans son haleine, sa sueur, sa cuisine, est supposée marquer l’appartenance sociale et raciale ; démocratisation et intégration passent par une désodorisation générale.

Tel le héros du « Parfum » de Süskind, qui doit se doter d’une odeur « humaine » artificielle pour être accepté de ses semblables, nous recréons de toutes pièces notre univers olfactif. Savons, bains moussants, gels pour la douche se veulent toniques ou relaxants ; poudres détergentes, adoucissants sentent le frais et le propre. Des techniques de masquage donnent aux chaussures en plastique des odeurs de cuir, aux meubles neufs des odeurs de vieux bois.

Au temps préhistorique l’homme devait sa vie à son odorat puisqu’il était menacé par des bêtes affamées. Son odorat lui permettait en cas de danger d’attaquer ou de fuir. A notre époque il n’y a plus de crainte de tomber sur une bête féroce, ou en tout cas dans sa forme originelle.

On retrouve aujourd’hui nombre de situations stressantes dans le milieu du travail, entraînant des modifications adaptatives dans l’organisme de l’individu, l’amenant à combattre ou à fuir, c’est le « fight-or-flight » des anglo-saxons. Or l’individu est à la fois dans l’impossibilité de combattre son patron et de fuir, risquant dans les deux cas de perdre son emploi ; il est donc paralysé, bloqué dans son corps, autrement dit dans une situation mortifère, c’est ce qu’a démontré Henri Laborit dans ses expériences avec les rats.

Pour reprendre le mot de Saint-Exupéry « Dans ma civilisation, celui qui diffère de moi, loin de me léser m’enrichit », et comme le disait Goethe « Celui qui ne connaît qu’une seule langue, n’en connaît aucune ».

LE GOÛT : On ne goûte plus, on se remplit. Nous voyons les conséquences de ce remplissage dans nos consultations : l’obésité, avec tous les problèmes de santé qu’elle entraîne. Manger devient une tâche parmi d’autres, on devient multitâches, on mange, tout en lisant le journal, ou bien en regardant la télévision ou en consultant ses mails, ou en téléphonant…le centre de la satiété n’est donc pas informé de l’action de manger.

Le goût n’a plus de goût, ce qui entraîne des réflexions comme « je n’ai plus goût à la vie ». D’ailleurs, n’a-t-on pas imposé la semaine du goût ?

L’OUÏE: Se confronter au silence est anxiogène. Le remplissage du silence par les mots, les bruits, la musique, devient une recherche de chaque instant, mais il convient surtout ne pas entendre ses propres bruits, ni les bruits de l’autre.

L’environnement devient de plus en plus bruyant, il y a de la musique partout en toutes circonstances ; le silence n’est plus qu’un mot dénué de sens. Or Heidegger nous dit : « c’est au-delà du discours que naît la vérité de l’Être ».

Ce silence, c’est ce que l’on rencontre dans les méditations de la RD3, cette qualité du vide se traduit par l’accession à l’état de « viduité », tout à fait compatible avec le « tout en rien » du zen, « notre non-savoir sur ce que nous cherchons tous et qui émerge dans le silence de l’existence », dans le tantra, chez les Yogis où l’on ne considère pas le silence comme un « vide » mais comme un espace de vivance propice à la création, en fait « plein de vide », se reconnectant sur notre espace intérieur, permettant cette reliance au monde.

LE TOUCHER : Le verbe toucher signifie entrer en contact avec quelqu’un ou quelque chose, de façon légère ou violente (définition du Petit Robert). C’est aussi faire naître des émotions au sens figuré.

Cependant le toucher est un besoin vital, équilibrant que nous recherchons toute notre vie à satisfaire. En effet, le contact tactile est indispensable au développement de l’être humain. Un enfant privé très tôt de contacts, manifeste d’importantes perturbations dans sa vie d’adulte (nervosité, agressivité). C’est pourquoi, toucher un nouveau-né (en particulier les prématurés) fait aujourd’hui partie intégrante des soins.

Afin de satisfaire ce besoin nous recherchons le contact en mettant en place toutes sortes de moyens acceptables par la société. Pour nous saluer, nous avons instauré la bise ou encore le fait de se serrer la main. Dans nos loisirs, nous avons créé des sports de contact (lutte, sport d’équipe…), dans la danse : le slow, le rock n’roll…

Le toucher peut apporter des sentiments de convivialité, de confort, de sécurité et d’amour, tant à la personne touchée qu’à celle qui touche, puisqu’on ne peut toucher autrui sans être touché soi-même. Pour Bernard Andrieu l’autre est celui que je touche et avec lequel je fais quelque chose qui me touche.

Le toucher dit-on est le premier sens à apparaître et le dernier à s’éteindre. La peau est messagère de tout un vécu psychologique, émotionnel et spirituel. Le toucher nous renseigne sur un certain nombre d’informations du monde extérieur (température, texture, nature accueillante ou hostile).

Lorsque malencontreusement quelqu’un frôle l’autre dans le métro, il s’empresse de s’excuser. Le contact est vécu comme une intrusion dans sa bulle, dans son espace vital ; enlacer l’autre pour lui manifester tout son amour est indécent, le contact de peau à peau devient rare, atrophié, d’où la croissance des maladies de peau, ce « moi-peau » dont parle Didier Anzieu.

Nous entrevoyons dans notre société la peur du toucher qui est le reflet de la difficulté à vivre au moment présent, ou la peur du vieillir. On assiste au développement des lieux de soin corporel, du soin « massage » : toucher devient le moyen de se sentir et de ressentir le vivant de notre chair, anesthésiée par l’illusion, d’exister dans le moment présent. Nous voyons bien tous ces corps que l’on retouche, comme en témoignent le tatouage, les piercings, les prothèses, les implants…

 

2- A quel moment, et comment intervient le Sophrologue ?

 

Le cabinet du Sophrologue est un lieu où la prise de soin commence dès l’accueil. Accueillir son client, c’est prendre le temps d’un échange sur un autre mode que le langage, c’est lui ouvrir la porte comme un simple groom d’hôtel, dans l’attitude « pauvre » dont parle Bernard Jean-Roy ; c’est prendre le temps de regarder la personne, c’est un moment de pause pour le Sophrologue et pour le client, « un temps vierge », qu’il ne faut pas rater.

La personne qui consulte est pressée, elle veut aller bien rapidement : « elle paie » et cela lui donne le droit à l’exigence, pense t-elle. Cette exigence qu’elle manifeste est justement la pression qu’elle subit au quotidien, l’exigence familiale, professionnelle, environnementale qui se manifeste là dans la relation avec le sophrologue. Elle met en scène ce qu’elle vit au quotidien.

Nous avons à respecter le désir de chacun, fût-il contradictoire, et c’est bien la raison pour laquelle, je suis quelquefois prise dans l’urgence « d’accuser réception » du message d’un enfant en détresse, pour qu’au moins, dans cette rencontre, si elle doit rester unique, l’enfant puisse se savoir entendu.

« Chercher le Sujet », nous dit Françoise Dolto. Nous sommes bien conscients que c’est l’enfant qui s’est arrangé pour amener le parent en consultation, et pas l’inverse, l’adulte ayant besoin de passer par le « prétexte » de l’enfant.

Dans ma pratique j’ai perdu quelques rigidités acquises durant ma formation, pour constater que le travail le plus fructueux se faisait lorsque j’acceptais le principe du « laisser venir qui a envie de venir » dont parle Eva-Marie Golder.

Le Sophrologue va utiliser sa voix comme outil pour permettre à son client de se relier à ses sens, par le terpnos logos, la voix qui enveloppe, qui nourrit, qui parle à toutes les cellules du corps. Il va s’établir « la rencontre », cette manière nouvelle qu’est la sophrologie de voir, de sentir, d’imaginer et de vivre ce que nous sommes : l’accusé de réception dans « l’ici et maintenant ».

 

3- Mon inspiration à partir des idées de W. Reich

 

J’en arrive à ma troisième et dernière partie : mon inspiration à partir des idées de W. Reich, et ma conclusion.La prise en compte de la respiration, l’enfermement dans la cuirasse corporelle, musculaire, ont occupé une très grande place dans la vie de Reich, et ont conduit paradoxalement à l’enfermement de cet homme qui a lutté pour la liberté émotionnelle, jusqu’à sa mort en prison ce 3 novembre 1957, il y a aujourd’hui 50 ans. Il nous dit dans « Ecoute petit homme », « je vais te dire, petit homme, quelque chose, tu as perdu le sens de ce qu’il y a de meilleur en toi, tu cherches le bonheur, mais tu préfères la sécurité, même au prix de ta colonne vertébrale, même au prix de ta vie ».

Il était important pour moi, de rendre hommage à l’homme libre et courageux, en avance sur son temps, et à tout le travail qu’il a réalisé. Il s’est battu pour l’Humain, pour l’Amour, jusqu’à en mourir.

En conclusion, prendre soin de l’Être dans ses sens maltraités, c’est être capable de réellement communiquer avec lui. Et qu’est-ce que réellement communiquer ?

Communiquer, c’est faire l’amour avec l’autre, être dans un abandon, accueillir, se laisser respirer, humer, respirer l’autre, le laisser pénétrer à l’intérieur de soi ; en expirant, nous nous laissons respirer par l’autre. Une respiration qui va et qui vient, comme le chantait Serge Gainsbourg. La place du corps est ici au premier plan, il s’agit d’ouvrir les orifices qui sont obstrués, hermétiquement clos. Nous sommes alors dans un non-temps, existence/consistance. Eros et Thanatos en clivage.

S’abandonner, c’est se donner et, comme le dit Jacques Lesage de la Haye, « il faut enclencher un partage d’émotions, et accepter de passer pour un con ».

Je vous remercie.

 

portrait Isabelle Fontaine

Isabelle FONTAINE  

Article extrait de :

PLACE DE LA SOPHROLOGIE DANS L'AVENIR DE NOTRE SOCIÉTÉ (LA)
XXXXI e Congrès de la Société Française de Sophrologie ed L’Harmattan

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